Tenter de penser au-delà de l’Univers que nous percevons, c’est l’enfer
Arthur RIMBAUD

Ce monde invisible, d’où sont issues les expériences subtiles, mystiques, artistiques, n’est pas le monde d’une croyance, mais celui d’une expérience accessible à tous. Expérience spontanée pour certains, induite pour d’autres.

Les peuples premiers ont de tous temps entretenu avec la nature une relation d’amitié sacrée. Ainsi, dans la mythologie grecque, Gaia était la déesse de la Terre. Encore aujourd’hui, les peuples andins nomment affectueusement la terre la Pachamama, la « Terre mère », reconnaissant qu’elle est notre premier berceau. Plus près de nous, cette conscience que le Cosmos a une âme s’est retrouvée dans le mouvement intellectuel du Romantisme au 18e S, jusque que chez les poètes contemporains.

Il aura fallu l’avènement du matérialisme cartésien pour que se pervertisse notre relation vivante au Monde Sacré. Des clefs intellectuelles existent certes pour le comprendre mais, en fin de compte, le sacré dépassera toujours l’intellect …du moins je l’espère.

Monde des Images, monde imaginal

Toutes les traditions, qu’elles soient indiennes, amérindiennes, soufies, celtes, lui donnent un nom. Monde autre. Monde invisible. Monde de l’au-delà. Monde sacré. Monde subtil. Monde suprasensible. Monde originel. Monde du mystère. Monde des esprits. Monde de l’infini. Réalité non ordinaire. Âme du Monde. Monde Un.

C’est le monde de la pensée non dirigée, la pensée spontanée qui surgit dès que notre attention se relâche, la pensée du rêve, des enfants et des primitifs, des artistes inspirés. Il se différencie de la pensée « dirigée » de la science et de la technique, qui fonctionne de manière logique, imitative et adaptative.

C’est le monde de l’imagination vraie, que les alchimistes appelaient « imaginatio vera », pour la distinguer de l’ « imaginatio phantastica », imagination irréelle, pulsionnelle, infantile, issue de la fuite de la réalité (« ah si j’étais riche, je… »).

C’est le monde imaginal (terme du philosophe Henry CORBIN), le monde des Images  :  images qui montent de l’inconscient créateur, rêves, poésie, intuitions profondes, mythes, symboles.

Ce processus imaginatif est source de puissance créative. Il permet de recevoir les messages de notre conscience profonde.

L’histoire est entièrement vraie puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre
Boris VIAN

Vu de la métaphysique : les manifestations du Divin

La rencontre avec le Divin est une expérience éminemment intime, une grâce reçue et acceptée — plutôt qu’une croyance qui relèverait du mental. Cette expérience immédiate a un caractère universel. Les grandes traditions spirituelles se rejoignent sur un principe Créateur, le Divin, dont les manifestations sont des Créatures.

Le monde chrétien reconnaît ainsi l’existence des Saints et des Anges.
Les peuples premiers reconnaissent l’existence des Esprits guides, les Esprits Compassionnels

Les Images actives qui surgissent du Monde Sacré sont de telles Créatures, messagères du Divin. À titre professionnel, attentif à respecter le libre arbitre de chacun, CG JUNG leur reconnaissait une réalité de symbole, permettant de transcender un conflit psychologique (sym-bolein : qui relie). À titre privé, par contre, il leur reconnaissait une existence propre, une réalité ontologique.

La réalité expérientielle est que si on entre en dialogue avec ces Images en acceptant de rester sur le canal de l’imagination Active, on en reçoit une réponse, sous forme d’une autre image, d’une sensation, d’un canal sensoriel.

Vu de l’anthropologie : le voyage chamanique

La rencontre avec l’imaginal — dont le « voyage chamanique » est le prototype —  est un état élargi de conscience auto-induit et intentionnel. 

Les pratiques  inductives sont diverses : prise de substances psychotropes (plantes, champignons, venins, etc) dites enthéogènes car éveillant sentiment du divin (entheos, « rempli du divin »), sons (tambours, grelots), danses (transes giratoires des derviches tourneurs), les lieux (hutte de sudation, quête de vision en nature profonde, etc). Avec de l’entraînement il est possible de se mettre en état modifié de conscience sans recourir à une pratique inductive.

Le point commun de toutes ces pratiques est leur caractère intentionnel. L’intention n’est ni artistique ni psychédélique ni récréative. Elle tend à un élargissement de conscience, une compréhension nouvelle, à des fins spirituelles ou thérapeutiques (guérison individuelle ou sociale). C’est sa qualité qui détermine la qualité de l’expérience.

L’autre point commun est la préservation simultanée d’un état de conscience vigilant capable d’observer le « voyage chamanique » et d’en rendre compte au retour. C’est d’ailleurs cette double présence —à l’état de conscience élargie et à l’état de conscience ordinaire—, qui protège d’une fuite du réel et garantit que l’expérience soit créative.

Vu de la psychologie : psychologie transpersonnelle

La psychologie transpersonnelle (Abraham MASLOW, psychologue et Stanislav GROF, psychiatre) explore ces états élargis de conscience à travers des expériences guidées de transes paroxystiques induites (par psychotropes,  respiration holotropique et musique) permettant de franchir les barrières habituelles de la perception et de faire émerger de l’inconscient des informations induisant sponténément un effet thérapeutique.

La psychologie des profondeurs (CG JUNG, psychiatre) propose une une psychologie avec âme. L’expérience clinique et personnelle de JUNG, ainsi que ses recherches anthropologiques et historiques, l’ont  conduit à observer les manifestations d’un souffle vital hors espace et temps, qu’il appelle l’âme, ou libido. Selon ses observations, l’âme s’origine dans un au-delà des réalités personnelles, qu’il dénomme l’inconscient collectif ­— au sens de transpersonnel (en allemand, über-persönlich). L’inconscient jungien est donc une énergie première, dynamique et sans fin, préalable à la conscience. Elle se manifeste à travers des images archétypales, universelles, dont témoignent les mythes, les traditions ancestrales et les grands rêves.

Pour entrer en dialogue avec cet inconscient collectif et donc avec son âme, il propose la démarche de l’imagination active, induite par la seule relaxation. La démarche s’expérimente par des mots, des formes, le mouvement ou encore dans la nature. Elle se déroule en trois temps :

  1. Laisser venir. Se plonger dans l’expérience, en état de détente.
  2. Contempler, observer. Accueillir les images « comme si » elles étaient réelles, car subjectivement, elles le sont.
  3. Se confronter, dialoguer. Interroger, accueillir la réponse qui vient. 
  4. Ajuster sa vie en conséquence. Intégrer l’information reçue dans une mise en action.

Vu de la physique : les dimensions hors espace-temps

Albert Einstein (Nobel de physique 1921) : «Dieu ne joue pas aux dés ! »
Niels Bohr (Nobel de physique 1922) : « Qui êtes-vous pour dire à Dieu ce quil doit faire 

De nombreuses théories de physique quantique et d’astrophysique pointent vers l’hypothèse d’un « monde autre » au-delà de notre monde perceptible. Ces théories des mondes multiples ou des « multivers » spéculent qu’une réalité plus profonde sous-tend l’univers, qu’il existe un ordre fondamental et invisible de l’univers, que notre monde coexiste avec d’autres univers.

Citons la théorie des cordes, la double nature de la matière corps-onde (de Broglie), la non-localité et l’intrication quantique (qualifiée par Einstein d’action fantôme à distance !),  la superposition des états quantiques (Schrödinger), l’indétermination quantique (Heisenberg), la théorie de l’ordre implicite (Bohm), etc.

Autre courant de recherche, la physique de la conscience postule une conscience non locale, qui n’est pas issue du cerveau mais existe dans une autre dimension et se manifeste à travers le cerveau,  Le cerveau serait donc la porte de la conscience et non son producteur, de la même manière qu’une émission télévisée se manifeste à travers un téléviseur mais n’est pas  produite par lui.

Vu des neurosciences : états élargis de conscience

Les neurosciences modernes nous apprennent que le niveau de fréquence des ondes électriques (hertz, Hz) du cerveau connaît plusieurs paliers :

Fréquence de référence, état de conscience normalement dominant : ondes BETA, de 15 à 30 Hz. Conscience vigilante, pensée vive et concentrée, état d’alerte mais aussi d’anxiété et de stress. Permet également le sommeil paradoxal et le rêve nocturne.

Basses fréquences, états abaissés de conscience :

  • ondes ALPHA, de 9 à 14 Hz. Détachement et de relaxation légère
  • ondes THETA, de 4 à 8 Hz. Somnolence ou état hypnotique, ouverture à l’inconscient. Permet le rêve éveillé et les expériences parapsychologiques.
  • ondes DELTA, de 1 à 3 Hz. Sommeil profond (sans rêves) d’inconscience, celui et du coma.

Très haute fréquence, état élargi de conscience : ondes GAMMA, de 30 à 60 Hz. Hyper-éveil intégratif, conscience aiguë, d’intégration et de coordination des activités cérébrales. Favorise la résolution de problèmes complexes ainsi que le liage perceptif, c.à.d la mise en relation d’informations cognitives avec nos sens et perceptions, comme dans le cas de la synesthésie.

La recherche récente par cartographie du cerveau — électroencéphalogramme (EEG) et imagerie tomographique (LORETA) — des états modifiés de conscience de type chamanique  relève les caractéristiques essentielles :

  • Bascule du mode analytique gauche vers le mode expérientiel droit d’expérience de soi
  • Bascule du mode préfrontal antérieur, au mode somato-sensoriel postérieur.
  • Activation dominante de l’hémisphère droit, et inhibition des fonctions responsables des états de conscience ordinaires liés à l’ego
  • Plus grande proportion et amplitude de l’activité de la bande alpha : relaxation légère
  • Augmentation de la puissance thêta : état hypnotique
  • Augmentation de la puissance gamma : hyper-éveil intégratif
  • Synchronisation de l’activité des lobes frontaux gauche et droit

Ces états de consciences élargis ne sont pas pathologiques lorsque la capacité de contrôle volontaire au service d’un objectif spécifique, de même que la conscience lucide de l’environnement physique, sont préservées.