Quand le Rêve Exprime le Monde Invisible
Car Je est un autre (…) Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute (…) Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens (…) Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun !
Arthur RIMBAUD
Dans nos cultures modernes, la pensée prédominante – celle de la science et de la technique – est une pensée dirigée, orientée vers le réel extérieur, et qui fonctionne de manière logique, imitative et adaptative. Par contre, dès que notre attention se relâche, ressurgit une pensée non dirigée, spontanée, que nous laissons « planer, plonger et réapparaître selon son propre poids », selon les termes de CG JUNG. C’est la pensée du rêve, des enfants et des primitifs, des artistes inspirés. À travers les mythes, les rituels, les images et les formes, c’est la « réalité de l’âme » qui s’élabore.
Le rêve, une activité imaginale qui pointe vers notre vie créative
Au-delà des rêves à caractère personnel sur lesquels Freud s’est focalisé, CG JUNG s’est intéressé aux grands rêves, de nature archétypale et spirituelle. À travers des images montant des profondeurs —« archétypiques »—, c’est l’âme qui se manifeste.
Les images oniriques surgissent lorsque l’individu est en recherche de son dynamisme créateur : à travers le message personnalisé du rêve, l’inconscient manifeste sa tentative de rééquilibrer la personnalité pour compenser la tendance unilatérale de son moi conscient, en pointant les angles morts de la personnalité, et en proposant une valeur à assimiler, une direction à prendre, un choix à faire.
Les rêves émanant de l’âme sont émotionnellement chargés. Plus l’image vient des profondeurs, plus on se sent impressionné, dans une émotion difficile à nommer, mélange de surprise, de crainte et de respect, et dont la charge dépasse ce que l’image en soi devrait logiquement générer. Il y a ainsi certains rêves dont on se souvient toute sa vie. Derrière l’émotion qui saisit l’individu face à une manifestation de l’inconscient, ce qui se manifeste est la libido, la pente d’écoulement naturelle de l’énergie de l’âme, et source de créativité, qui imprime clairement une direction.

Si le rêve est un des canaux les plus courants de cette activité imaginale et créatrice, c’est parce que dans le sommeil le contrôle conscient est endormi — à condition toutefois de ne pas être « assommé » par des somnifères et autres psychotropes. Les personnes ayant acquis une grande capacité de lâcher prise du mental peuvent aussi avoir ces images en état éveillé.
Se rendre réceptif à ses rêves
Un rêve est fugace et s’évanouit rapidement au réveil même si les plus puissants peuvent laisser une impression qui traverse la vie. À vous de vous rendre disponible, en conservant à votre chevet un carnet de rêves sur lequel en recueillir les traces. Il n’est pas nécessaire d’être exhaustif. Ce peut-être une histoire mais aussi des sensations, une image plus forte que d’autres.
Si vous écrivez votre rêve, faites-le à la première personne du singulier même si vous êtes spectateur plutôt qu’acteur, et surtout, au temps présent, pour rester connecté à la charge émotionnelle. Noter l’émotion qui connote le rêve lui-même mais également celle du réveil.
Si vous dessinez votre rêve, renoncez à faire un tracé joli ni même représentatif. Ce qui compte est le choix de la couleur, l’intensité du trait, la sensation du mouvement. Il est préférable de nous représenter que l’image dominante plutôt que de vouloir restituer toute une bande dessinée.

En captant votre rêve, vous lui permettez de remonter à votre conscience, et il continuera de vous travailler jusqu’au moment de l’analyser.
Le travail analytique du rêve
Il est contre-productif de vouloir décortiquer un rêve de manière exhaustive : cette attitude cartésienne ne servirait qu’à le vider de sa charge mystérieuse et à se couper de lui. Il ne s’agit pas non plus de l’expliquer.
Analyser un rêve, c’est plutôt chercher ses résonances émotionnelles dans nos références culturelles, sociales, familiales et personnelles. C’est l’envisager d’un point de vue externe (« et si cette image me renvoyait à un élément, un personnage, une situation de ma vie externe ? ») autant qu’interne (« et si cette image me renvoyait à une facette de moi-même ? »).
Cela demande une attitude interrogative, qui s’adresse directement aux images du rêve : « Qui es-tu ? Pourquoi toi et pas une autre image ? Pourquoi maintenant ? » C’est bien d’un travail d’imagination active qu’il s’agit.

Il est parfois bon de reprendre le rêve après son analyse, et de le dessiner à nouveau. Tout comme il est bénéfique de lire de temps à autres en diagonale son carnet de rêves, et de ressentir combien les images ont évolué et formé une trame à travers le temps.
Bénéfices
Les figures intérieures du rêve sont des psychagogues, des guides de l’âme. Il y a dans l’inconscient une impulsion tournée vers l’avenir, non pas au sens d’une direction qui s’imposerait de manière déterministe et aliénante, mais plutôt comme une actualisation de potentialités inhérentes à la personnalité et présentes depuis l’origine, un peu comme les propriétés du chêne sont contenues virtuellement dans le gland.
Or, il faut bien relever le processus suivi : c’est une image qui vient d’abord, le discours ne vient qu’après – l’interprétation qu’on en fait, la compréhension qu’on en a.
CG JUNG