Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d’une seule chose, énonce le vieux principe alchimiste. Du macrocosme planétaire au microcosme de mon environnement immédiat, 2024 n’a cessé de me rappeler le rapport occulte d’analogie qui existe entre les plans de la terre, de l’humain et du cosmos : tandis que les régions s’embrasaient, que les démocraties se fragilisaient, ma maison finistérienne enchaînait les avaries et c’est mon sol intérieur qui tremblait. Les deux plans ont également occupé ma conscience. L’année, riches en ébranlements, m’a aussi offert de belles synchronicités et bifurcations, déterrant au passage quelques-uns de mes conditionnements obsolètes. Je forme ainsi le vœu que notre humanité connaisse de même des trouées de lumière et d’heureuses bascules dans l’année nouvelle.

L’une des expériences de cette année aura été d’éprouver combien la pensée linéaire conduit à une impasse. Dans les moments d’insécurité, un réflexe humain est de mettre en place des stratégies de survie, de contournement, d’anticipation. Comme ces personnes qui, entrant dans une salle de cinéma, cherchent du regard les sorties de secours par lesquelles elles pourront s’échapper. Un réflexe peut-être salvateur en cas d’extrême urgence mais peu créatif : avoir un coup d’avance sur l’adversité s’inscrit dans la continuité de ce qu’on connaît déjà, sans laisser d’espace au surgissement de l’inattendu, aux bifurcations de l’imprévu.

Dans les premiers mois de mon installation en terre bretonne, j’ai moi-même d’abord emprunté cette voie peu féconde. Tandis que la maison multipliait les avaries et les hémorragies d’énergie (électricité, eau, chauffage), la tension de l’insécurité me vidait de ma propre énergie. Mais vouloir être plus loin que dans l’instant problématique, c’est se projeter ailleurs et plus tard, hors sol, hors racines, alors que j’avais besoin de m’enraciner dans ma nouvelle terre. Du moins, je gardais la distance salvatrice me permettant de rester témoin lucide de cette descente dans un maelström qui m’avalait.

Enfin, dans un crescendo de pannes, j’ai cessé de me démener. Non que j’aie été saisie d’une subite insouciance épicurienne ou d’une résignation passive. C’était plutôt une invitation à la confrontation, au sens jungien. Partir de l’hypothèse que si la crise se produit, c’est qu’elle a quelque chose à nous apprendre. Se laisser envelopper par la situation sans chercher à la fuir. En éprouver toutes les nuances, les résonances, en ressentir les vibrations. Un peu comme quand, dans un grenier sombre, on attend que le regard s’habitue à l’obscurité.

Aborder les bouleversements en restant relié au moment présent, dans un état de curiosité et d’écoute, économise l’énergie de résistance, permet de s’enraciner pour ne pas être emporté par l’insécurité et, en fin de compte de ressentir sa solidité intérieure à défaut de sécurité externe. Apprivoiser ses peurs permet de les calmer et de laisser advenir d’autres voies que celle de la pensée linéaire répétitive et de l’anticipation du pire : des signaux synchronistiques, des choix alternatifs non causaux. Dans le vocabulaire des physiciens quantiques, cela signifie l’entrée d’informations extérieures à notre espace-temps 4D — ce que Jung appelait l’inconscient collectif. Philippe Guillemant, physicien de l’intelligence artificielle et de la conscience, rappelle la formule limpide de Yakir Aharonov, autre physicien quantique aujourd’hui nonagénaire : L’état du présent — un événement — est décrit par l’interaction entre une fonction d’onde venant du passé et une autre fonction d’onde venant du futur. Le futur influence le présent.

Concrètement, dès que j’ai commencé à respirer à l’intérieur des difficultés auxquelles cette maison me confrontait, j’ai perçu combien elles recelaient aussi des invitations à la transformation. Une bénédiction déguisée. Tout nuage a une doublure argentée. Existe-t-il en français l’équivalent de ces expressions anglaises pour traduire avec poésie les cadeaux du ciel quand on cesse de se débattre ?

Seul 2025 me dira si la maison est pacifiée. Moi-même le suis, c’est déjà beaucoup. Que faudrait-il pour que, dans l’univers collectif, les êtres humains puissent aussi suspendre cette course en avant dans la peur et l’anticipation du pire, retrouver leur respiration, et entendre ce que les drames tentent de faire monter à la conscience ? Serait-ce cela, l’esprit de Noël ?