Pourquoi ai-je renoncé à tout ce qui faisait mon univers personnel et me suis-je installée dans les Monts d’Arrée ? Mes tentatives explicatives, partielles et provisoires, convergent vers celle-ci : j’ai répondu à l’appel de l’Âme du Monde. Dans mon univers personnel, cette expression désigne cette vibration d’harmonie et de cohérence qui émane du monde naturel, cette force de vie, puissante et subtile à la fois, qui pulse derrière le voile de la réalité ordinaire. Sans renier mes racines chrétiennes, du moins le message christique, je me sens avant tout et activement païenne : le Divin n’est pour moi ni anthropomorphe ni anthropocentré, il traverse tous les niveaux de réalité de la vie, humaine mais pas seulement, des plus petits insectes à la voie lactée et au-delà.
Il y a 15 ans, j’avais répondu à l’appel de l’Âme, la mienne, en devenant « psy » et analyste selon la psychologie des profondeurs de Carl G Jung. J’ai ainsi accompagné d’autres personnes dans l’écoute de leur propre Âme. J’aurais pu me contenter de cela et laisser en retrait ma conscience de l’Âme du Monde, comme une évidence périphérique et distraite. Mais son appel s’est fait de plus en plus insistant, m’invitant à une autre quête. J’ai voyagé dans des contrées aux traditions restées animistes, me suis retirée dans des quêtes de vision en nature sauvage, ai effectué des diètes de plantes maîtresses — ainsi nommées en raison de leurs enseignements — dont certaines enthéogènes. Est venu ce moment, à jamais inscrit dans ma mémoire, où, juchée au sommet d’un promontoire qui surplombait un territoire inhabité, mes sens exarcerbés par le jeûne, j’ai vu la nature m’apparaître dans des couleurs si vives que je les ai crues comme « photoshoppées », à moins que ce soit moi qui ne l’avais jamais regardée? La joie m’a submergée, ainsi qu’une détresse qui n’était pas la mienne, était-ce celle de la Nature ? Il m’a semblé qu’elle me clamait en silence son « Me too », sa détresse d’être abusée sans fin par nous les humains. Ce jour-là, je lui ai promis de me mettre à son service, sans savoir ce que je signifiais par là. C’était en 2018. En réalité, ma conscience écologique avait basculé : j’étais passée d’une attitude « verte » intéressée par ma propre santé et sécurité, à un élan de tendresse gratuite, de respect et de gratitude envers la terre qui me porte, cette terre que les peuples andins nomment affectueusement la Terre-Mère, la Pachamama. C’est, je crois, cet engagement qui m’a conduite ici, au cœur du Finistère, une terre sauvage à l’énergie puissante, où les traditions païenne et chrétienne se rencontrent. Nul besoin désormais d’autres contrées et d’autres cultures pour retrouver mon lien sacré à la terre et au Cosmos.
Me vient alors cette autre interrogation, tournée vers l’avenir : « pour quoi », pour quelle action suis-je ici ? Si j’accorde du crédit au vibrant « Me too » que m’a fait ressentir l’Âme du Monde dans la montagne portugaise, la réponse naturelle qui me vient ce soir est de tenir ma promesse en œuvrant à la réparation de notre lien abîmé à la Terre-Mère. Notre relation est devenue si prédatrice que même nos actions écologiques restent trop souvent utilitaristes, motivées par l’urgence de notre survie. En écrivant ces lignes m’apparaît pour la première fois que, peut-être, je suis ici pour redevenir thérapeute autrement, cette fois thérapeute du lien entre les humains et la nature. De quelle manière vais-je m’y prendre ? Seule l’Âme du Monde le sait, elle qui m’a fait dessiner sur mon terrain un Triskell destiné à accueillir des plantes médicinales. Se révèleront-elles des plantes maîtresses, elles aussi ? Elles ont tout à m’apprendre, tout comme le vent, les vagues, les arbres et les rochers. Ça tombe bien, je suis pétrie d’interrogations et de réponses partielles et provisoires.
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