Les ruptures sociétales s’enchaînent, climatiques, géopolitiques, socio-économiques. Quelque chose doit changer radicalement. Non que j’aie le pouvoir d’inverser le cours des choses, mais je sature de passivité. Je ne suis animée ni par la peur ni par des stratégies de survie. « La peur est le chemin vers le côté obscur. La peur mène à la colère. La colère mène à la haine. La haine mène à la souffrance. » disait Yoda. Je me sens plutôt comme ces musiciens du Titanic qui ont joué de la musique jusqu’au bout, non pour éviter le naufrage mais pour agir à partir de leur être profond et donner le meilleur d’eux-mêmes.

Ne sachant par où commencer, j’ai d’abord, suivant le conseil de Gandhi, changé radicalement ma propre vie. « Tout commence en Finistère », affirme ma nouvelle terre d’accueil. Les Monts d’Arrée se déploient à perte de vue, bien loin de la société de consommation. La densité de population ainsi que celle du béton au kilomètre carré sont certainement 10 fois plus faibles que celles du Brabant Wallon. On y réfléchit mieux, l’air est plus pur et plus tonique. Et revient cette question lancinante : comment participer à l’émergence d’un Nouveau Monde ? Comment contribuer à ce changement radical sur le plan collectif ? Je tisse un fil logique, encore ténu. Depuis 50 ans, notre civilisation est devenue unilatéralement — et donc excessivement —individualiste, narcissique, égocentrée, consommatrice, dominatrice. Pour renverser cette polarisation qui nous déséquilibre, nous aurions besoin d’un retour de balancier vers le pôle opposé, et de trouver enfin un équilibre dynamique entre ces deux pôles. Ainsi, le changement radical serait de retrouver l’esprit d’humilité.

Il nous faut nous décentrer. Nous les occidentaux ne sommes pas le centre du monde. Plus largement encore, nous les humains ne sommes pas le centre du monde. En suivant ce fil, j’entrevois deux plans de transformation.  D’autres m’apparaitront plus tard, peut-être.

D’abord, dans un état d’esprit décentré, nous nous verrions comme l’une des mailles du grand tissu de la Vie, interdépendante de toutes les autres, les animaux, les végétaux, les océans… Notre relation à la vie non humaine serait d’interaction, d’interdépendance, d’amitié, et de respect. Nous ne pillerions pas la Nature au service de nos désirs et besoins superficiels. Nous prélèverions en elle de quoi nourrir nos besoins de base, en lui laissant le temps de se régénérer. Nous serions partenaires, et non pas exploitants. Une telle attitude affaiblirait la prétention des peuples à saccager leurs voisins et leurs environnement.

Ensuite, toujours dans un mode de pensée décentré, nous adopterions une attitude ouverte envers la possibilité que toujours « quelque chose » nous dépasse, quelles que soient les avancées de la science et de nos hypothèses explicatives. Nous serions ouverts au mystère, sans chercher à le percer, le dépecer. Il ne s’agirait pas d’adopter une croyance, une adhésion de principe. Il ne s’agirait pas non plus de foi, laquelle est une grâce qui ne se choisit pas. Il s’agirait de lâcher notre cerveau contrôlant et de nous ouvrir à l’expérience dépourvue d’explication. Je garde le souvenir de ces moments d’enfance où la magie de la vie m’arrachait un émerveillement, jusqu’à ce qu’un plus grand casse mon enthousiasme d’une explication blasée « ben quoi, c’est un escargot » !

Ce « quelque chose qui nous dépasse », je l’appelle le Divin — rien à voir avec les dieux confessionnels. Je n’ai pas la « foi absolue » comme d’autres ont « l’oreille absolue », je connais des moments de fulgurance où la porte s’ouvre et je découvre avec émerveillement une expérience qui me dépasse, qui chez moi prend la coloration d’une puissance de vie qui m’entraîne dans des chemins inconnus et créatifs. En dehors de ces moments, le doute cartésien me reprend et referme la porte.  Mon fond mystique me fait m’émerveiller, mon fond rationnel me fait douter.

Entre le rationnel explicable et le mystérieux inexplicable, il y a  un équilibre dynamique à trouver qui, c’est ma conviction, contribuerait à aider notre civilisation à guérir de son unilatéralité destructrice. Se décentrer, redonner sa place à la Nature et au Mystère, est une pratique exigeante quand on a longtemps vécu dans un monde narcissique et compétitif. Mais plus on s’y consacre, plus on y prend goût, car on est payé de retour en paix, en joie, en gratitude. Se décentrer réactive notre système nerveux parasympathique, celui de la détente et de l’ouverture aux autres.

Et puis, quelque chose doit bien changer radicalement, non ?

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