Par sa nature sauvage, son habitat parsemé, ses légendes et ses vestiges millénaires de traditions sacrées, païennes ou christianisées, la Bretagne profonde dégage une énergie puissante absente de nos régions plus urbanisées. Labourée par la désertification médicale, elle est un terreau fertile de guérisseurs en tous genres. Naturopathes, magnétiseurs, énergéticiens, médiums, chamans auto-proclamés, druides sages ou folkloriques se pressent sur les réseaux sociaux. Une telle profusion de pratiques et revendications ésotériques engendre chez moi de la confusion. L’ego spirituel est aussi subtil que la réalité dont il se revendique.  Alors que dans le Brabant Wallon si matérialiste je ne doutais pas de mon ouverture au monde spirituel, les Monts d’Arrée réveillent en moi le scepticisme des scientifiques. Qu’est-ce qui différencie un discours « perché » d’une expérience vécue ? un charlatan d’une personne inspirée ? un concept d’une manifestation ?  Et moi-même, entre mes dons et mes curiosités, où me situé-je dans ce kaléidoscope ? Quelle est ma cartographie subjective de l’Invisible ?

« Si vous parlez à Dieu, vous êtes croyant. S’il vous répond, vous êtes schizophrène », disait Pierre Desproges. Être ou ne pas être « croyant », telle n’est pas la question. Croire est une adhésion mentale non soutenue par l’expérience. En ce sens, je ne crois en rien. Envers les expériences rapportées par d’autres, je ne peux offrir qu’un agnosticisme bienveillant qui n’exclut rien a priori. Par contre, envers mes propres expériences, j’ai la foi d’une mystique.

Ainsi, je n’ai aucun doute sur la réalité de l’Âme. Dans le corps, elle se ressent au plus profond de soi, elle monte du fond de notre bassin, le hara. J’ai rencontré la mienne à travers la Psychologie des Profondeurs, l’analyse jungienne. J’ai appris à dialoguer avec elle et suis devenue moi-même « thérapeute de l’âme », ce qui est bien le sens premier d’un psychothérapeute. C’est à  l’âme de la personne qui me consulte que je me rend attentive, c’est elle que je soutiens au-delà de ses souffrances et interrogations. À force de pratique, je peux distinguer sa voix propre de celles, souvent discordantes, du mental, de l’ego ou du cœur. Notre âme connaît, avant nous, le chemin de la réalisation de notre être profond. Ainsi, nul doute que c’est mon âme qui m’a envoyée en Bretagne, alors même que je n’en perçois pas encore bien l’intention. Quand je m’en inquiète ou m’impatiente, elle me répond « tu n’as pas besoin d’en savoir plus, tu es dans la bonne direction ».

Je n’ai pas non plus de doute sur la réalité de l’Âme du Monde. Elle se manifeste à moi comme une présence vivante, une vibration qui me saisit. Dans ces étendues bretonnes, je me surprends à m’exclamer « que c’est beau ! » face à une manifestation banale, un envol d’oiseaux, la course d’un nuage sur les landes, et à ressentir aussitôt que les mots me trahissent : il ne s’agit pas d’une beauté au sens visuel, de celle que l’on voudrait capturer dans une photo, ni même d’une expérience sensorielle. C’est plutôt une harmonie diffuse, une atmosphère qui m’enveloppe. À d’autres moments, c’est un arbre, un rocher, une fleur sauvage qui se dresse devant moi comme un autre être vivant et suspend mon pas, comme m’invitant à la rencontre. Il arrive que l’Âme du Monde se manifeste à moi dans un dialogue, mais il ne lui convient pas que je l’interpelle à tout va. Son silence me signale que mon intention part de ma volonté plus que de mon cœur. Par contre, dans un moment où je suis authentiquement habitée d’un questionnement ou d’un tiraillement, la clarté surgit, comme un flash intuitif, au moment même où une rencontre avec un être de la nature me saisit.

Ces deux expériences, je les situe encore dans la matière : l’ Âme dans nos incarnations individuelles, l’Âme du monde au cœur de la nature, de la Terre-Mère. Cela convient à la terrienne que je suis. Il y a une autre dimension, plus éthérée. Je la nomme la Vie, d’autres l’appellent Dieu, l’Univers, le Ciel-Père ou encore l’énergie cosmique. En astrologie, elle correspond à l’énergie impalpable des Poissons, celle de la relation au Monde Autre, à la spiritualité mais aussi à la confusion. C’est dire que j’y avance à tâtons, tiraillée entre la foi mystique et le doute rationnel.

La foi d’abord. Depuis toujours, j’ai la certitude innée d’avoir une bonne étoile, un ange gardien. « Je sais que la Vie m’aime », me suis-je exclamée très jeune, au cœur d’une nuit noire. En effet, elle a toujours surgi dans mes pires dérélictions. J’ai pris l’habitude de lui adresser tous les soirs une prière de gratitude : « merci la Vie pour les cadeaux reçus dans la journée… ». Cadeau bonus, la gratitude nourrit la joie.

Le doute ensuite. Il surgit lorsqu’il s’agit d’y affirmer une compétence d’intercesseur. Certains placent leur action de guérisseur sur ce plan-là, invoquent la physique quantique là où je ne vois que le Mystère ou la Grâce. Je crois n’avoir aucun don de canal, hormis la capacité d’effectuer un voyage chamanique, imaginal, à la demande d’autrui, et je n’ai pas dépassé la physique quantique « pour les nuls ». Si j’accueille chez d’autres la possibilité de soins à distance et d’intention transformatrice de la réalité, mon adhésion fluctue en fonction des personnes et de l’authenticité qu’elles dégagent. Je doute de l’autre, est-il un fumiste? Je doute de moi, me suis-je fermée à certains canaux?

Ma foi dans l’Invisible me remplit d’expansion, d’audace et de confiance. Le doute face à ses dérives illusoires alimente en moi la retenue, la prudence et la peur. De façon intéressante, le maître des Poissons est Jupiter (l’expansion) en astrologie traditionnelle et Neptune (dissolution des limites) en astrologie moderne.Deux faces d’une même pièce. Depuis mon arrivée en Bretagne, je suis tiraillée entre ces deux pôles. Un flottement inconfortable qui fait probablement partie du travail initiatique qui m’attend ici : relier la Terre au Ciel.

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