Je ne me résous pas à la passivité. La vulnérabilité, essence de notre humanité, est en danger partout. Une interrogation revient comme un leitmotiv au cœur de mes nuits : comment contribuer à la bascule de notre société vers une société plus aimante ? En parallèle, je me sens, depuis mon arrivée dans les Monts d’Arrée, muter de psychothérapeute à chercheuse spirituelle. Aucun lien ?

Le travail psychothérapeutique est autocentré : on traverse ses couches défensives et adaptatives, à la recherche d’un bon équilibre dynamique avec soi-même et avec son univers proche. La recherche spirituelle, elle, se tourne vers l’inconnaissable de ce qui dépasse notre univers personnel : notre planète, l’autre lointain, le monde invisible. Après s’être réconcilié vers soi et ses cercles intimes, vient le moment de se tourner vers l’Humanité, bien au-delà de notre zone d’impact.

Avant d’aller plus loin, il me semble utile de préciser les liens que je tisse entre l’ésotérisme, la spiritualité, l’énergie, le monde subtil, l’amour — des termes trop souvent indistincts. Pour ma propre clarté, je les ai ordonnés en m’inspirant de la progression pyramidale de la PNL, elle-même inspirée de Maslow. Au sommet, comme sur le Toit du monde, je place l’Amour, archétype du divin dans sa forme la plus universelle et la plus agissante. Au niveau qui suit vient le monde subtil, la membrane vibrante et respirante à travers laquelle se manifeste l’Amour. Ensuite je place l’énergie, l’atmosphère de cette toile invisible. Puis vient l’ésotérisme, qui englobe les connaissances et les traditions propices à cette exploration qui débordent du rationnel mesurable. Au bas de la pyramide, sur son niveau le plus concret, se trouve la spiritualité, que je comprends comme l’attitude d’ouverture à cette dimension sacrée universelle qui nous dépasse. Toutes les activités s’y prêtent, danse, jeûne, chant, culture, cuisine, participation à une famille spirituelle, engagement sociétal, mission de vie, sobriété, rituels, yoga, taï-chi, etc. L’essentiel se trouve dans la qualité de l’attitude, active et consciente.

Et ce lien ? Face à l’inéluctable mutation planétaire à laquelle nous sommes acculés, les incantations de Gandhi (« soyez le changement que vous voulez voir dans le monde »), ou de Pierre Rahbi (« faites votre part de colibri »), n’y suffiront pas. La complexité des enjeux dépasse notre seule capacité individuelle et collective. Il nous faut renoncer à notre individualisme nourri de performance (« ça marche ! ») et nous tourner vers une dimension qui dépasse nos prés carrés. C’est en ce sens que, je crois, la quête spirituelle prend tout son sens, elle qui nous tourne vers la toile de la Vie, et nous invite à y trouver notre place agissante. « Au fond, il n’existe qu’un seul et unique problème sur terre. Comment redonner à l’humanité un sens spirituel, comment susciter une inquiétude de l’esprit. Il est nécessaire que l’humanité soit irriguée par le haut et que descende sur elle quelque chose comme un chant grégorien. On ne peut plus continuer à vivre en ne s’occupant que de frigidaires, de politique, de bilans budgétaires et de mots croisés. On ne peut plus progresser de la sorte. » Ces mots sont attribués à Antoine Saint-Exupéry. Je n’en ai pas retrouvé la source, mais je les fais miens. Comment faire pour être irrigués par le haut ? Paradoxalement, en revenant à nos racines et à plus de simplicité, en développant notre sens d’interconnectivité, en nous recentrant sur ce que nous faisons le mieux pour l’accomplir au bénéfice de la toile de Vie. Il n’est pas anodin que cette réflexion me vienne alors que Pluton (l’énergie des profondeurs) passe en Verseau (l’archétype de l’humanité) pour les vingt années à venir.

Se tourner vers un travail spirituel suppose de s’être suffisamment relié à son être authentique pour pouvoir naviguer avec confiance dans ses eaux émotionnelles et ses chaos intimes. Pourtant, la quête spirituelle reste émaillée de doutes et de remises en question : notre petit moi nous ramène souvent à nos eaux troublées, et il nous faut re-hisser la voile avant de repartir. Nous restons des humains, exposés à des péripéties déstabilisantes qui réveillent notre vulnérabilité. S’ouvrir en conscience à l’Amour n’est pas une assurance tous risques contre les échecs, accidents, maladies, et injustices. C’est là que l’accompagnement psycho-spirituel trouve sa place, par-delà le travail thérapeutique : dans la reconnaissance de ces va-et-vient entre nos différents paliers de questionnements, et dans le soutien à un lâcher-prise progressif de nos besoins de sécurité pour oser enfin être pleinement soi.

Je crois profondément que c’est ce dont a besoin notre société en souffrance : que chacun de nous cherche comment être sur le pont en mettant le plus profond de son être au service de la Vie. Chercher, c’est avancer sans savoir, c’est déchiffrer son expérience et en témoigner, c’est vivre chaque moment, même banal, même frustrant, comme une expérience qui a quelque chose à dire,  c’est aller à la rencontre de l’autre, humain ou non, comme un interlocuteur. De cette rencontre peut naître un dialogue, sous forme d’inspiration, d’imagination active, de prière, de « petite voix ». Et de ce dialogue peut naître à son tour une réponse à la question : où est ma place dans ce monde bouleversé ?