Depuis dès avant le COVID, j’avais effectué quelques quêtes de vision et diètes de plantes selon les traditions des peuples premiers, en quête d’un changement dont la nature m’échappait, hormis qu’il me fallait « refaire du vide pour refaire du plein », me répétais-je. Je suis capable de décisions radicales lorsque je sens que je fais fausse route ou que je stagne. À l’automne dernier, j’ai retiré toutes les prises et ai tout quitté. Mon pays, ma maison, mes habitudes, mes hobbies, mon activité et mes affiliations professionnelles, ma vie sociale. Je me suis retirée dans le Finistère Nord, la fin de la terre, au pied des monts d’Arrée, un territoire de landes, de forêts et de traditions celtiques dont la densité de population tourne autour de 20 personnes au kilomètre carré. Repartant de rien, hormis mes meubles, mes bouquins et ma voiture, j’étais prête à embrasser un vide créatif bruissant de désir, d’où naîtrait un renouveau précoce comme les perce-neige en janvier.

Las. L’hiver s’est déroulé, sombre, humide et tempétueux. Mes premières rencontres avec ce vide qui m’avait si joyeusement appelée avaient les couleurs sombres du néant, de la solitude, l’abandon et la Mort. Le mystère de la Mort et de l’au-delà de la Vie me titille de derrière son voile depuis mon adolescence, je n’ai de cesse de vouloir le traverser. Mon nouveau lieu de vie n’est pas anodin : les Monts d’Arrée sont une terre de légendes où règne la Mort, ici on l’appelle l’Ankou. Et c’est l’Anjou qui m’appelait. J’avais aspiré à du vide et c’est lui qui m’aspirait, dans un vortex sans fond. Était-ce un élan destructeur qui m’avait poussé à démanteler ma zone de confort ? Mon seul élan de vie, puissant et entêté, était de dessiner, dans ce terrain dont je suis désormais la gardienne, un immense Triskell — symbole celtique à dont les trois branches spiralantes palliaient bien à propos mon dynamisme créatif moribond—, destiné à accueillir des plantes médicinales. Pour donner un substrat à mon élan, je me suis inscrite à une formation approfondie à l’École Bretonne d’Herboristerie. Je n’ai aucune intention de devenir naturopathe, mais qui sait ?

En bonne insomniaque, mes nuits sont habitées de rêves éveillés, comme des voyages dans un autre monde. La dernière fois où l’Ankou m’a appelée au cœur de la nuit, je me suis résolue à me confronter à lui. Entourée de tous mes esprits protecteurs, je suis descendue à sa rencontre … et me suis retrouvée dans une grotte souterraine, sur les terres d’Hadès. Le bougre prétendait faire de moi sa compagne et escomptait recevoir ma visite de manière régulière. Conciliante, j’ai d’abord consenti puis, dans un sursaut de révolte, m’y suis refusée catégoriquement. Je ne suis pas Perséphone. J’ai la ferme intention de vieillir dans la lumière et la légèreté. Il faut mourir pour renaître, dit-on. Face à ma détermination, Ankou-Hadès s’est transformé en immense géant de pierre, aussi haut que la statue de Bouddha détruite par les Talibans à Bâmiyân. Je me sentais minuscule face à lui. Magnanime, il a rapetissé jusqu’à ma taille pour que nous puissions nous parler. Il s’est présenté cette fois comme l’esprit du Vide Gravide. Sans en comprendre le sens, je trouvais la résonance des mots assez jolie. En fait, m’a-il expliqué, gravide, c’est un état de gestation, de vide… plein ! Sur mon interrogation, pourquoi tout était pourtant si lourd ? l’esprit du Vide Gravide m’a recommandé de ne me sentir obligée à rien, de ne rien entreprendre qui ne soit un élan du Cœur, et que tout irait bien…

Ces dernières semaines, j’ai aéré, enrichi et paillé la terre de mon Triskell, cerclé les spirales de bordures et entouré l’ensemble d’une clôture en osier vivant. Le voilà quasiment prêt à accueillir ses premières plantes médicinales en mai prochain. Lundi, l’École Bretonne d’Herboristerie anime une journée sur la création d’un jardin de plantes aromatiques et médicinales. Plus que quelques jours avant la naissance du printemps ! Même Perséphone va remonter à la lumière du jour. Nous danserons ensemble avec les fleurs et les plantes…

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