Lors de l’éclipse solaire de 1999, les nuages dans les Ardennes françaises s’étaient écartés au moment précis de l’obscurcissement, laissant entrevoir le scintillement d’un éclat de diamant sur le bord du disque lunaire. Il y a peu, alors que la lumière du jour ne perçait pas encore mes rideaux, une vision fugace m’a saisie : comme si un espace nuageux s’entrouvrait, laissant passer une lumière à la fois chaude et douce tandis que, dans le même temps, venait subliminalement l’information Joie. Cette fois, ce n’était pas un phénomène optique. Rien à voir avec une religion ou une croyance, il m’arrive de vivre un ressenti quasi physique de la présence d’une réalité qui me dépasse, des flashs qui se heurtent ensuite à mon scepticisme cartésien, ressacs garantis. Cette fois, la Joie se dévoilait à moi comme une énergie toujours disponible, même voilée. Ce n’est pas nouveau, nombre de traditions ésotériques et spirituelles le suggèrent, mais c’était pour moi une expérience neuve. Il ne s’agissait pas de la joie explosive des grandes victoires, ni de la joie ordinaire qui naît de nos réalisations et de nos rencontres, mais d’une vibration subtile et douce, une onde toujours disponible et indépendante de nos actions qui ne demanderait qu’à se déverser en nous, pour peu que nous ouvrions nos canaux réceptifs. Une onde bienvenue en ces temps sombres. Quel que soit la renaissance qui suivra les séismes planétaires actuels, la traversée sera longue et pourrait nous user nerveusement si nous ne prenons pas soin de nous. Nous aurons besoin de nous ressourcer.
Garder ouvert le canal de cette Joie toujours disponible derrière son voile alors même que les joies ordinaires se raréfient, est une de ces sources. Il n’est pas nécessaire d’en avoir eu une expérience mystique ni d’avoir quelque croyance religieuse, juste de nous rendre poreux, présents aux trouées du voile, comme en ce lointain jour d’éclipse. En pratique, cela signifie quoi ? Se placer en état de disponibilité sans prise de tête, ouvrir ses canaux réceptifs et prêter à ses sensations, externes comme internes, une attention flottante. Les deux termes sont essentiels, qui renvoient à cette présence propre à l’écoute thérapeutique… Et l’on revient à notre capacité à être guérisseurs de nous-mêmes. Bien que mon univers s’accommode mal des étiquettes, je reconnais dans cette attitude le fondement de ce que l’on appelle la pleine conscience, le mindfulness, ou encore le heartfulness : une présence subtile à soi et à son environnement naturel.
Toute activité, même non contenue dans un protocole, est propice à cette réceptivité lorsqu’elle est pratiquée par goût et dépourvue de la recherche d’un résultat. La Joie subtile est un cadeau inattendu. À titre personnel, elle m’a souvent traversée au cours de mes consultations, mêlée à l’émerveillement que produit en moi d’être témoin de la vie intérieure d’une personne. Écrire peut aussi éveiller en moi cette vibration, si fine que pendant longtemps je ne l’ai pas perçue : elle me traverse dans ces moments d’alchimie entre les mots et ce qui m’habite, indépendamment de la chance de réception de mes lignes. De même lorsque je marche dans la nature, d’un rythme suffisamment lent pour que tous mes canaux sensoriels soient simultanément en éveil : cette onde de douceur peut soudain me traverser comme un souffle, et mon cœur s’élargit. Chacun de nous a ses propres pratiques, telles la voix, le chant ou un instrument de musique, l’écoute d’œuvres musicales, certains massages qui nous éveillent à nous-mêmes, les pratiques méditatives ou contemplatives, le chi gong et les pratiques lentes de maîtrise du souffle, le mouvement authentique et la danse, les plongées dans la nature ou dans une œuvre d’art, les soins donnés à une personne ou un être de la nature, les moments vécus dans l’émerveillement et la gratitude…
Au fond, toutes pratiques qui nous sortent de l’urgence et de l’exigence de productivité. Des contrepoids bienvenus à la pensée dominante du monde contemporain.
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